Le juge, le pauvre et le capitaliste.

Publié le par Cheng

Lorsqu'on lit le titre, on sait généralement bien comment finissent ce genre d'histoire. Mais le contexte marocain peut engendrer des dénouements rocambolesques, presque irréalistes au XXIème siècle.

La loi et le droit ne sont pas dans ce cher Maroc le référents de la vie quotidienne. Beaucoup de situations, même administrative, se règlent de manière informelle.
La rencontre est ici plus importante que le mail officiel, la discussion et la parole plus crédibles qu'un contrat signé, avec mention 'lu et approuvé". Certains marocains sont même offusqués lorsqu'on leur demande de rédiger un document type contrat pour assurer la réalisation d'un service. Ils croient dans ce cas-là que nous ne leur faisons pas confiance, et peuvent se sentir insultés par ce geste.

Eh bien j'ai entendu récemment une anecdote excellente sur cette situation de domination de l'informel et du subjectif. Il arrive parfois que les représentants de la loi elle-même en réfèrent à leur jugement personnel, en dehors de toutes les bornes législatives.
C'est le pasteur Jean-Luc qui m'a raconté cette histoire, et bien d'autres encore, fort de son expérience de 9 ans passés au Maroc.

L'entreprise Ciments du Maroc possède dans le pays énormément de terres. Elle fait partie d'un grand groupe capitaliste italien comme on en connait des tonnes par chez nous, de ceux qui travaillent avec Suez et First Eagle Funds. Vous voyez le tableau. Le genre de gros portefeuilles intouchables dans les pays en voie de développement, cherchant plus à favoriser les grands investisseurs étrangers que les ressortissants délaissés.

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Les Ciments du Maroc ont donc exploités depuis des dizaines d'années bon nombre d'hectares de terres habitables pour extraire les minéraux nécessaires et pour créer des grandes cimenteries nuisibles à l'environnement alentours. La critique est facile, certes, mais elle a le mérite d'être juste.
L'intelligence de cette entreprise réside dans le fait qu'elle a acquis au cours de son travail des terrains en quantité, qu'elle garde de côté plusieurs années. Ceci afin d'avoir toujours une réserve foncière suffisante pour pallier à tout manquement subit ou toute crise financière mondiale engendrant une flambée des prix du m².
Un de ces terrains non utilisés était squatté par un bidon ville imposant. De ceux où croupissent les migrants sans travail en provenance des campagnes marocaines ou d'Afrique centrale.

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Or Ciments du Maroc voulut exploiter ces terrains, en délocalisant à grands coups de godillots les pauvres squatteurs. L'affaire se retrouva très vite en justice. Escortés d'une armada d'avocats et de spécialsites juridiques tous plus clinquants les uns que les autres, la firme cimentière ne craignait aucunement la défaite. Peu de spécialsites donnaient cher des pauvres hères incapables de lire un Code juridique.

C'est alors que le miracle se produit. Allah, Dieu, la félicité, la justice céleste, ou bien un destin particulièrement favorable, intervinrent lors du procès. Le juge en charge donna raison aux sans-abris bidonvillois et donna tort aux experts juridiques gominés. La presse fut ébahie de ce jugement, tandis que les actionnaires et les investisseurs amateurs de poussière blanche cimenteuse ruminèrent leur rage.

 


 


Pour seule jsutification, le juge décréta qu'il était en son devoir de choisir, qu'il en avait la possibilié. Si seule la loi suffisait à décider, son métier était inutile. Il ne revenait qu'à lui de juger les mauvaises lois, et de prendre des décisions allant dans un sens tout autre.
Pour lui, extradier ces pauvres gens était inhumain et immoral. Et une loi immorale devait être combattue, ou tout du moins ignorée, lors d'un jugement tel que celui-ci. Il ajouta même que Ciments du Maroc n'avait pas à se plaindre, car ils vivaient largement au-dessus de leurs moyens, et leur quasi-monopole foncier ne s'en trouvait pas menacé. L'entreprise obéit et ne fit pas appel! Un vrai conte de fée!

J'adore cette histoire, car elle nous apprend une chose : tous démocrates que nous sommes, emplis de bonnes intentions et d'humanisme moelleux, brandissant avec foi la Déclaration des Droits de l'Homme à tout bout de champ, on peut prendre une bonne leçon d'humanité et de compassion de la part d'un citoyen de régime royal autoritaire. Nous ferions d'ailleurs bien d'en prendre de la graine, lorsque nos chers policiers bousculent avec zèle quelques tentes Quechua installées sur un quai parisien sans histoire.

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F
<br /> Cher Maxime je trouve ce nouvel article trés bien. Belle leçon de vie... Ainsi que tous le reste de ton blog qui retranscrit quelques anecdotes du Maroc à travers un regard trés objectif. Cela<br /> permet de se faire une belle opinion de ce pays. En espèrérant d'ailleur y retourner trés prochainement, tendre pensée à ton égard.<br /> <br /> <br />
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